Après s’être approché au plus près des élans visqueux et brûlants sortis des entrailles de la Terre (lire l’HM n° 867), c’est vers des températures plus froides que le voyage scientifique islandais se tourne désormais. Cette fois, pas besoin de marcher trop longtemps pour atteindre les montagnes de glace qui s’élèvent à quelques kilomètres de la mer. Pour se rendre compte du gigantisme du paysage, il suffit d’imaginer la scène : une route droite, déserte, des couches de nuages se détachent de l’horizon dessiné par les montagnes. Rien d’exceptionnel… Seulement, en se rapprochant, ce que l’on pensait être une bande de nuages se révèle être une couche de glace qui relie les sommets entre eux, au point parfois de les surplomber ! Un paysage fascinant qu’Hollywood a d’ailleurs su exploiter dans de nombreux films de science-fiction. Car, effectivement, au milieu de ces glaciers, où ruissellements et craquements se font entendre, on a l’impression d’être sur une autre planète…

L’Islande est recouverte à 11 % de glaciers, si bien que, sur l’île, il y a toujours un endroit près d’un kull (glacier en islandais). C’est d’ailleurs ici que se trouve le plus grand glacier d’Europe, le Vatnajökull, si vaste qu’il peut contenir la Corse ! Bien visible depuis l’espace avec ses 8 300 km², il occupe une grande partie de la région sud-est du pays. C’est un immense glacier sous lequel « dorment » (voir encadré) une dizaine de volcans et d’où dégoulinent, lentement, une trentaine de « doigts glacés ». Par endroits, lorsque l’eau de mer est au contact de ces gigantesques langues gelées, des icebergs se détachent du glacier dans un grondement sourd. C’est ce qui se produit à Jökulsárlón, « lagune de glaciers » où phoques et sternes arctiques assurent le spectacle sur ces blocs de glace blanc et bleu, striés de gris qui dérivent vers la mer. L’environnement est magnifique, mais il est aussi le signe d’une fonte impressionnante. Dès lors, il n’est pas étonnant que ces géants de glace soient scrutés de près par les scientifiques islandais.
« La surveillance des glaciers s’est considérablement améliorée ces dernières années grâce à l’utilisation de la technologie satellitaire, qui nous donne des informations plus claires sur le nombre et la taille des glaciers et les changements continus de leur volume et de la vitesse de perte », explique Guðfinna Aðalgeirsdóttir, professeure de glaciologie à l’université d’Islande, dans un article publié dans « Science » (1) en début d’année. Même si les humains parviennent à atteindre l’objectif le plus optimiste de maintenir le réchauffement climatique à 1,5 °C de plus que les niveaux préindustriels, la chercheuse rappelle que près de 60 % des glaciers du monde disparaîtront d’ici à 2100.
Une vidéo pour mieux alerter
Certes, la surface occupée par les glaciers est beaucoup plus petite que celle de la calotte glaciaire antarctique (14 millions de kilomètres carrés), mais, selon la chercheuse, « la perte des glaciers de montagne a autant contribué à l’élévation du niveau de la mer que la fonte des calottes glaciaires au cours des trois dernières décennies. Par ailleurs, cette disparition menace l’accès à l’eau potable, augmente le risque d’inondations, de glissements de terrain et de chutes de pierres ». Combinée aux prévisions de la perte de glace de mer arctique en été, de l’augmentation de la fonte du Groenland et de l’Antarctique, de l’élévation du niveau de la mer et d’un déclin de la biodiversité, « l’urgence climatique n’a jamais été aussi claire, lance Guðfinna Aðalgeirsdóttir. Les pays n’ont pas agi de manière suffisamment décisive pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la question semble avoir atteint une sorte d’impasse. Les raisons en sont complexes, mais les personnes impliquées dans le domaine, y compris les scientifiques, doivent peut-être changer leur façon d’en parler afin d’obtenir un plus grand soutien du public à l’action », expose la chercheuse. En 2021, comme pour alimenter cette réflexion, une équipe de l’université d’Islande avait mis en ligne une vidéo accélérée montrant seulement six semaines de la fonte estivale du Breiðamerkurjökull, un des glaciers émanant du géant Vatnajökull (2). Un film inquiétant d’une trentaine de secondes qui transpose l’imperceptibilité de la fonte des glaciers à une échelle temporelle appréhendable par l’homme. Une prise de conscience immédiate et radicale !
Comment un glacier se renouvelle-t-il ?
Au sommet d’un glacier, il existe une zone d’accumulation. Il s’agit d’un endroit où les précipitations neigeuses sont censées compenser les pertes liées à la fonte. Au fur et à mesure que la neige s’accumule, elle est comprimée sous son propre poids et transformée en une substance appelée firn, « neige granulaire ». Au fond du glacier, où la température est plus chaude en raison de l’altitude plus basse, la zone d’ablation constitue le lieu de la fonte estivale, qui fait reculer le glacier. Entre les deux se trouve la ligne d’équilibre. La différence entre les deux zones, le bilan de masse, permet aux glaciologues de voir si un glacier avance (grandit) ou recule (fond).
Le feu sous la glace
Si de nombreux volcans sont visibles en Islande, d’autres sont cachés sous les glaciers. Katla est l’un d’entre eux. Au cours des siècles de colonisation de l’île, les archives montrent qu’il est entré en éruption au moins 20 fois. Il ne se trouve qu’à 10 km de l’Eyjafjallajökull, le volcan sous glacier qui a beaucoup fait parler de lui lors de son éruption en 2010 (il avait bloqué les déplacements aériens dans tout le nord de l’Europe durant plusieurs jours). Les dernières données de l’Office météorologique d’Islande, du 16 août 2023, montrent un soulèvement du système volcanique sous le Torfajökull, un autre glacier situé à 40 km du précédent.
Ces éruptions sous glacier sont craintes car elles provoquent une inondation glaciaire, un jökulhlaup. Fondamentalement, la chaleur du magma sous le glacier fait fondre la glace et un grand volume d’eau est libéré, souvent soudainement. En 1996, Grimsvötn, un volcan qui se trouve sous le Vatnajökull, a provoqué une catastrophe en libérant en vingt-quatre heures plusieurs milliards de m3 d’eau inondant les terres, détruisant les ponts et dévastant la seule route qui permet de rejoindre la capitale, Reykjavik. Heureusement, sans faire de victime.